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«J'aime rêver devant une oeuvre abstraite, exactement comme on peut rêver devant les nuages les "merveilleux nuages"...» (1)
Durant les aventures de "L'Oreille Cassée" à "L'Or Noir", Tintin réside dans un appartement situé 26, rue du Labrador, avec l'efficace Madame Pinson comme consierge. Les éléments chinois du décor sont les traces laissées par Tchang dans la vie des héros. A partir d'"Objectif Lune", Tintin habite au château de Moulinsart offert au capitaine par le professeur Tournesol. Il n'est pas chez lui, indifférent à toute possession. Rien dans le décor ne l'exprime. Mais les nombreux objets de la salle de Marine sont un rappel des aventures qu'il a vécues.
Hergé changera souvent d'adresse avant de se fixer à la fin
de sa vie dans une maison aux grands murs blancs exaltant les
tableux qu'il aime. "La sagesse des dieux et des bienheureux
ne s'exprime pas par des phrases, mais par des images"
(Plotin). "Je me suis passionné pour
l'art abstrait. Peut-être était-ce là une sorte de
compensation, car mon travail à moi a été on ne peut plus
figuratif" (1). Ses
peintres favoris sont Botticelli et Miro. La sculpture aussi
l'enchantait : Nicolas Schoeffer et Berrocal et Arnaud qu'il
imitera dans "Les Picaros". Il aurait voulu avoir le
don de la création musicale. Il aimait Debussy et Satie "à cause de son aspect à la fois humoristique et
mélancolique" (2).
Il adorait le jazz et aurait aimé écouter les Pink Floyd
pendant des heures. Il s'entourait d'objets primitifs, dont le
fétiche Arrumbaya est le symbole.
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Hergé et le Pop Art
Ne retrouvait-il pas, dans la technique tramée de Lichtenstein, l'écho des images de Tintin - elles-mêmes issues du jeu combinatoire des trames - et dans la suite des variations chromatiques de l'artiste pop un jeu des épreuves du photograveur ou de l'imprimeur.
L'impressionnisme a décomposé la lumière. Le cubisme a décomposé l'objet. L'art abstrait a décomposé la matière, il est entré dans la cellule, il en a rélévé les réseaux et les flux vitaux. Roy Lichtenstein et quelques autres adeptes de la nouvelle figuration vont aussi loin : ils s'insinuent dans la texture vivante de la chose imprimée.
Après avoir été sensible à l'expressionisme et à l'art spontané, tels les "cris picturaux" de Georges Mathieu, de Hans Hartung ou de Karel Appel, Hergé se découvre une plus profonde affinité pour des artistes à l'oeuvre plus claire, plus linéaire. Leurs travaux et leurs recherches sont, pour lui, l'équivalent d'une «ligne claire» qui finit par recouvrir le croquis jeté, gesticulé.
Sans pour autant remettre en cause son amitié avec des artistes qu'il apprécie, Hergé évolue encore. Il est significatif qu'il ait choisi de se défaire d'oeuvres plus gestuelles, plus spontanées (et peut-être moins maîtrisées) pour acquérir des oeuvres généralement très structurées, construites, proches, en somme, du bon à tirer. Tout Hergé est dans cette évolution. La rigueur et le calme qui émanent de ses acquisitions récentes sont remarquables, aussi remarquables que la rigueur et le calme qui émanent de ses propres oeuvres. Et, de plus, ces qualités sont parfaitement en accord avec la sérénité que le père de Tintin affiche au soir de sa vie.
Cette combinaison d'éléments géométriques à la manière de Victor Vasarely, restitue avec rigueur les différentes couleurs de la couverture de l'album Tintin et les Picaros. Vous ne comprennez pas ? Prenez le recul... |
(1) Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, 1971.
(2) Benoît Peeters, Le Monde d'Hergé, 1982.